L’imagerie et le symbolisme de saint Nicolas et du père Noël
Auguste Vachon, héraut Outaouais émérite
Existe-il une différence marquée entre saint Nicolas et le père Noël? Quelques simples recherches sur Internet démontrent que les similitudes entre ces deux personnages sont évidentes, sauf pour quelques traits spécifiques à chacun. Une analyse plus poussée soulève des questions d’ordre métaphysique. On se demande comment un saint réel et vénéré en vient à être assimilé presque globalement à un être nettement folklorique qui a évolué vers la modernité et la commercialisation? Pour répondre à cette question, du moins en partie, il convient d’examiner brièvement les origines des deux personnages, l’un réel et l’autre fictif, et de découvrir les symboles qui sont venus se greffer sur eux.
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Saint Nicolas, que l’on fête le 6 décembre, naît vers la fin du IIIe siècle et devient évêque de Myre en Lycie (Turquie). Le Dictionnaire des saints qui ont fait notre histoire … d’Edmond OUTIN (Paris, Éditions Dervy, 2000, p. 360) nous apprend que : « Depuis le Moyen Age, la Saint-Nicolas se fête dans l’Est et, a pour nom Santa-Claus. Ce nom est dérivé du ‘Sinterklaas’ hollandais, qui donna notre Père Noël. » L’anglais a conservé le qualificatif de saint dans les appellations Santa Claus et St. Nick. Il existe aussi une chanson pour enfant intitulée Jolly Old Saint Nicholas qui assimile saint Nicolas au père Noël. Diverses versions d’une autre chanson qui lui est dédiée nous apprennent que ce saint est aussi le patron des écoliers qui apporte des friandises aux enfants. Selon la tradition, les enfants suspendaient leurs bas ou plaçaient leurs souliers pour recevoir ses cadeaux et ceci bien avant l’arrivée de papa Noël sur la scène. Éventuellement, les deux personnages se fusionnèrent presque entièrement dans l’esprit populaire. Dans ma jeunesse au Canada, le clergé catholique exhortait souvent ses fidèles, surtout les enfants, à mettre de côté ce vieux bonhomme de père Noël pour célébrer saint Nicolas avec plus de dévotion.
Les artistes représentent saint Nicolas de diverses façons, mais généralement en vêtements d’évêque et avec une Bible. Dans l’icône ci-dessous (fig. 1), il porte le pallium qui évoque le pairle, une pièce importante de l’art héraldique en forme de Y. Ici le pallium s’orne de deux croix pattées. Cette croix souvent présente dans les armoiries se pare ici, au bout de chaque branche, d’un ajout qui ressemble à l’anse d’une tasse. Les vêtements du saint sont rouges comme ceux du père Noël, mais leur couleur peut varier d’un artiste à l’autre et les croix qui s’y trouvent sont souvent latines ou grecques. Saint Nicolas figure dans de nombreuses armoiries, surtout civiques, où il tient presque toujours sa crosse d’évêque. Les armoiries de la commune de Saint-Nicolas-des-Biefs, département de l’Allier en France, se blasonnent parti : au 1) d’argent au bonnet phrygien de gueules, au 2) de sinople à la rose d’argent boutonnée et barbée de gueules; à la crosse d’or posée en pal sur la partition; au chef de gueules chargé de trois sabots d’or. La crosse au centre et les trois sabots dans le haut (en chef) font sans doute allusion à saint Nicolas et au fait que les enfants étalent leurs sabots ou souliers la veille de sa fête pour recevoir ses présents. Voir à ce sujet les sites : http://nouvelleheraldie.blogspot.com/2016/12/la-saint-nicolas.html et https://www.heraldry-wiki.com/heraldrywiki/wiki/Category:Saint_Nicholas?fbclid=IwAR31xFp-XdSV2OanIzkVzM6zx2z_53vAHuOb_liWWzUCEufj7IYsxwlLWWU
Le Dictionnaire des saints d’Edmond OUTIN, op. cit., p. 406, énumère plusieurs symboles liés à saint Nicolas : « ancre, bateau, bourse ou coffret d’argent, globes dorés, nourriture, portant de la nourriture, pain ou nourriture, pomme, tonneau contenant des enfants ». À ceci on doit ajouter les symboles de sa dignité d’évêque et de saint : auréole, mitre, crosse, Bible, et diverses formes de croix. Le père Noël et le saint partagent plusieurs symboles comme la barbe et la moustache, un sac rempli de jouets et l’association avec les enfants. Les symboles ou légendes spécifiques à papa Noël comprennent son traîneau tiré dans le ciel par des rennes que guide Rodolphe avec son nez rouge, le sapin décoré sous lequel il place ses cadeaux, son atelier au pôle Nord où des lutins travaillent à fabriquer des jouets pour les enfants et le houx à l’occasion (fig. 4).
Fig. 1. Icône sur verre par Georgeta Maria Iuga de Roumanie. Source : collection d’icônes de Paula Gornescu-Vachon.
La carte postale (fig. 2) est peut-être unique en ce sens que les rebras de la tuque (bonnet) et des manches du père Noël sont d’hermine. En héraldique, l’hermine s’inspire de la fourrure blanche du mammifère du même nom parsemée de mouchetures noires provenant du bout de sa queue. Cette fourrure orne aussi les costumes d’apparat des hauts dignitaires de l'État, de l'Université et de l'Église et ici confère au père Noël une rare distinction. La figure 2 le présente comme on le conçoit généralement aujourd’hui : un vieillard jovial avec cheveux, barbe, moustache et sourcils blancs, portant un manteau et un bonnet rouge aux rebords également blancs, représenté comme un pourvoyeur de cadeaux surtout pour les enfants. Le téléphone lui donne un air de modernité puisque la carte date de 1915 environ.
Fig. 2. Carte postale d’un éditeur anonyme des États-Unis, vendue au Canada. Porte un timbre canadien de 2c du roi George V, inscrit « War Tax » et émis le 25 mars 1915. Source : collection de cartes postales héraldiques d’Auguste et Paula Vachon.
En 1931, un artiste du nom Haddon Sundblom concevait des versions du père Noël pour la compagnie Coca-Cola, d’abord calqué sur un ami puis ensuite sur lui-même. Le public accueillait comme une nouveauté ce personnage aux joues rosées, bien nourri, jovial et dégageant un air de bon vivant (voir le site : https://www.coca-colacompany.com/company/history/five-things-you-never-knew-about-santa-claus-and-coca-cola). Sans vouloir diminuer le mérite de l’artiste Sundblom, force est de constater qu’un père Noël ayant beaucoup des mêmes traits que celui de Coca-Cola existait au XIXe siècle et au tout début du XXe (fig. 2-6, 8).
Fig. 3. Scène nocturne où le père Noël servi par des fées se nourrit abondement. Source : L’Opinion publique du 23 décembre 1880, p. 619 (journal publié à Montréal).
Fig. 4. Un père Noël joufflu et jovial, vêtu à la canadienne avec ses raquettes. Gravure à la une du Canadian Illustrated News, 27 décembre 1879.
Fig. 5. Une fillette rêve de recevoir « un carnaval de jouets » pour Noël. Le père Noël n’est pas tellement différent de ceux que l’on voit aujourd’hui avec leur traîneau débordant de cadeaux et tiré par des rennes. Le traditionnel sapin ornementé fait aussi partie du décor. Source : Canadian Illustrated News, 27 décembre 1879, p. 408.
Fig. 6. Le père Noël sur son traîneau chargé de cadeaux, tiré par seulement quatre rennes sur la neige. La branche d’érable donne à la scène un cachet canadien. Carte postale par W.G. MacFarlane de Toronto, cachet postal du 12 décembre 1907. Source : collection de cartes postales héraldiques d’Auguste et Paula Vachon.
Dans certaines représentations de divers pays dont le Canada, le père Noël ne se présente pas toujours comme un aimable bon vivant. La figure 7 le montre portant une corne d’abondance pleine de cadeaux pour les enfants, mais sa physionomie donne l’impression d’un personnage assez sévère. La légende sous l’image se traduit « Saint Nicolas et ses escortes ». On remarque que tout ce qui entoure le saint n’a rien à voir avec la sainteté. Tout d’abord, il est coiffé d’une couronne de laurier, l’enfant ailé à sa gauche s’apparente davantage à cupidon qu’à un angelot puisqu’il laisse paraître le haut de son carquois rempli de flèches. Les deux figures allégoriques et les colonnes rappellent l’Antiquité. Sur les chapiteaux, deux enfants, ressemblant à des lutins ou des farfadets, tiennent un feston de laurier qui se prolonge de chaque côté des colonnes. Sous les colonnes apparaissent un masque de la tragédie à gauche et un masque de la comédie à droite.
Fig. 7. « Saint Nicolas et ses escortes ». Source : Canadian Illustrated News, 21 décembre 1878, p. 389.
Quand j’étais enfant, les prêtres catholiques nous rappelaient, qu’au-delà des cadeaux et des friandises, il ne fallait pas oublier que Noël glorifie avant tout la naissance de l’Enfant Jésus. Ce débat n’est pas d’aujourd’hui comme le démontre la figure 8 qui accorde autant d’importance au père Noël et aux réjouissances en famille qu’à la naissance du Sauveur. Une note décrivant la scène mentionne ces deux orientations : « L’artiste M. Génot, [Achille Génot] a su rendre cette double pensée. Il a ajouté, au sommet à gauche, une scène sur laquelle nous attirons l’attention. Ce gros ministre avec son portefeuille, et ces humbles solliciteurs, c’est d’une vérité parfaite. » Ce gros ministre, que je n’ai pu identifier, est-il un personnage précis ou un stéréotype?
Fig. 8. Cette scène accorde autant d’importance aux festivités en famille qu’à la naissance de l’Enfant Jésus. On voit en haut à droite une caricature politique (voir la description ci-haut). Source : L’Opinion publique, 24 décembre 1974, p. 629, description de la gravure, p. 627.
L’image du père Noël ne sera jamais complètement stéréotypée, car les artistes cherchent à innover. Pour s’en convaincre, il suffit de parcourir l’Internet où, par exemple, les figurines en céramique à son image offrent de beaux exemples de créativité. Une autre raison pour laquelle la façon de représenter saint Nicolas et le père Noël ne se sclérosera jamais est qu’il s’agit d’un puissant symbole. La dualité du phénomène, un vénérable saint d’une part, et un personnage fictif, modernisé et rempli de bonhomie d’autre part, contribuent à le rendre mystérieux et insaisissable. Les symboles refusent de se voir enfermés dans un carcan et encore moins dans une boîte de conserve. Ils veulent vivre, respirer et évoluer.
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Un célèbre et vénérable saint qui se transforme presque totalement en un être mythique et populaire mettant en évidence beaucoup de traits humains constitue une synthèse intrigante sur le plan symbolique. Il s’agit peut-être d’une façon de rendre saint Nicolas plus abordable aux Chrétiens de l’ère moderne et de mieux le faire accepter des adhérents à d’autres confessions. Noël célébrait à l’origine le solstice d'hiver et le renouveau du soleil. L’assimilation presque complète de saint Nicolas au père Noël reflète sans doute la fusion d’une fête chrétienne et d’une croyance antique qui ensemble ont pris graduellement une orientation commerciale marquée.
Mon épouse Paula se joint à moi pour souhaiter un merveilleux Noël à tous nos lecteurs.
The Imagery and Symbolism of Saint Nicholas and Santa Claus (summary)
Saint Nicholas was the precursor of Santa Claus and like him provided gifts to children. At least in the French tradition, he is the patron saint of school children to whom he brings various goodies, a fact which is celebrated in song. The designation Santa Claus goes back to the Middle Ages and is said to be derived from its Dutch equivalent Sinterklaas. English has kept the saintly prefix which is sometimes expressed as “St. Nick” and is recorded in the song Jolly Old Saint Nicholas. Eventually the original saint and Santa Claus virtually fused into a single entity. When I was a child, the Catholic Clergy would remind its parishioners that Christmas should glorify the birth of the Infant Jesus and not the old fictitious and commercialized character called père Noël (Father Christmas).
Saint Nicholas has been depicted in various ways as to the colour of his vestments and the type of crosses on them. He usually appears dressed as a bishop and holding a Bible. In figure 1, the saint wears a pallium which corresponds to a pall, an important Y shaped form in heraldry. On the pallium are two crosses paty which are also important heraldic figures having here a semicircular appendage at the end of each branch. In other representations, the crosses on his vestments are Latin or Greek. A dictionary of saints by Edmond Oudin associates a number of symbols with Saint Nicholas such as an anchor, a boat, a gold purse or small gold box, gold orbs, bread, apples and other types of food as well as children in a barrel. More importantly on a symbolic plane, the effigy of the saint appears in a number of civic coats of arms where he normally holds his crozier.
In 1931, the illustrator Haddon Sundblom created versions of Santa Claus for Coca-Cola, modelled at first on a friend, then on himself. His creations presented the image of a jolly, friendly well-nourished older man with rosy cheeks and a white beard. In fact, this image of Santa was in the making since at least the nineteenth century (figs. 2-6, 8).
The postcard (fig. 2) may be unique in the sense that Santa wears ermine trimmings on his tuque and coat sleeves. Ermine is a heraldic fur made of the white winter coat of the stoat strewn with black spots derived from the tip of its tail. Since ermine is also worn as trimmings on the vestments of dignitaries, its association with Santa constitutes a signal honour. Saint Nicholas and Santa Claus share a number of characteristics such as their mutual association with gifts and children, but some symbols remain exclusive to Santa, namely his sleigh drawn through the sky by reindeers including his guiding light Rudolph the Red-Nosed reindeer, the Christmas tree under which he places his gifts, and his workshop at the North Pole where elves construct toys for children.
As a strong symbol, Santa Claus will never be completely stereotyped because artists are creative and strive for innovation. Fine examples of this are the numerous and imaginative representations of him in the ceramic figurines that are found on the internet. Symbols refuse to be confined to a cage and even less to a preserve jar. They want to live, breathe and evolve. It is symbolically significant and astonishing that a venerated saint virtually evolved into a fictitious entity with pronounced human traits, a transformation which may make him more acceptable, not just to modern Christians, but also to adherents of other faiths. This duality constitutes an elusive paradox and creates an aura of mystery around the saint. Originally, Christmas was a celebration honouring the winter solstice and the renewal of the sun. The almost complete fusion of Saint Nicolas and the highly commercial Santa Claus surely reflects the synthesis of a Christian belief with an antique tradition. A.V.
Saint Nicholas has been depicted in various ways as to the colour of his vestments and the type of crosses on them. He usually appears dressed as a bishop and holding a Bible. In figure 1, the saint wears a pallium which corresponds to a pall, an important Y shaped form in heraldry. On the pallium are two crosses paty which are also important heraldic figures having here a semicircular appendage at the end of each branch. In other representations, the crosses on his vestments are Latin or Greek. A dictionary of saints by Edmond Oudin associates a number of symbols with Saint Nicholas such as an anchor, a boat, a gold purse or small gold box, gold orbs, bread, apples and other types of food as well as children in a barrel. More importantly on a symbolic plane, the effigy of the saint appears in a number of civic coats of arms where he normally holds his crozier.
In 1931, the illustrator Haddon Sundblom created versions of Santa Claus for Coca-Cola, modelled at first on a friend, then on himself. His creations presented the image of a jolly, friendly well-nourished older man with rosy cheeks and a white beard. In fact, this image of Santa was in the making since at least the nineteenth century (figs. 2-6, 8).
The postcard (fig. 2) may be unique in the sense that Santa wears ermine trimmings on his tuque and coat sleeves. Ermine is a heraldic fur made of the white winter coat of the stoat strewn with black spots derived from the tip of its tail. Since ermine is also worn as trimmings on the vestments of dignitaries, its association with Santa constitutes a signal honour. Saint Nicholas and Santa Claus share a number of characteristics such as their mutual association with gifts and children, but some symbols remain exclusive to Santa, namely his sleigh drawn through the sky by reindeers including his guiding light Rudolph the Red-Nosed reindeer, the Christmas tree under which he places his gifts, and his workshop at the North Pole where elves construct toys for children.
As a strong symbol, Santa Claus will never be completely stereotyped because artists are creative and strive for innovation. Fine examples of this are the numerous and imaginative representations of him in the ceramic figurines that are found on the internet. Symbols refuse to be confined to a cage and even less to a preserve jar. They want to live, breathe and evolve. It is symbolically significant and astonishing that a venerated saint virtually evolved into a fictitious entity with pronounced human traits, a transformation which may make him more acceptable, not just to modern Christians, but also to adherents of other faiths. This duality constitutes an elusive paradox and creates an aura of mystery around the saint. Originally, Christmas was a celebration honouring the winter solstice and the renewal of the sun. The almost complete fusion of Saint Nicolas and the highly commercial Santa Claus surely reflects the synthesis of a Christian belief with an antique tradition. A.V.
My wife Paula joins me in wishing all our readers a wonderful Christmas.
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