Le Québec sur le Red Ensign : une fantaisie commerciale
Auguste Vachon, héraut Outaouais émérite
Le Québécois d’aujourd’hui serait sans doute déconcerté de voir les armoiries du Québec et de grandes villes québécoises figurées sur le battant du Red Ensign, drapeau de la marine marchande britannique. C’est pourtant ce qu’on peut constater sur une série de cartes postales intitulée « Canadian Coats of Arms » publiée par Raphael Tuck & Sons à partir de 1907 ou 1908. Notons toutefois que le Red Ensign était utilisé à cette période, sans autorisation, comme drapeau du Canada avec l’ajout des armoiries des provinces sur un écu. Il y a lieu de se demander quelle était la réaction des Québécois de l’époque devant ces cartes qui mêlaient des symboles qui leur étaient chers à un drapeau qu’on associait à l’époque à la Grande-Bretagne ou à l’ensemble du Canada. Il convient aussi de s’interroger sur la clientèle visée par cette imagerie qui réunissait, d’une manière plutôt criarde, les principaux symboles canadiens, y inclus le castor et la branche d’érable.
Raphael Tuck & Sons produisait en quantité industrielle, pour l’Europe et pour l’Amérique, des cartes postales illustrant le pittoresque d’un pays, ses sites enchanteurs, ses monuments, son folklore et ses emblèmes. En plus de son siège social à Londres, la firme possédait des bureaux à New York et aussi à Montréal avant 1918. Après la fermeture de ses bureaux de Montréal à cause de la Grande Guerre, elle faisait connaître ses produits par des catalogues et des agents qui circulaient à travers le pays. La série de Raphael Tuck sur les armoiries canadiennes, n’était qu’une mince parcelle de sa production canadienne.
En 1892, l’Amirauté britannique avait autorisé le Red Ensign avec l’écu des quatre provinces originales sur le battant pour identifier les navires de la marine marchande canadienne enregistrés au Canada. Ce même drapeau était également arboré comme drapeau du pays, assez souvent avec toutes les provinces représentées (fig. 1 et 6-8). Le concepteur de la série avait choisi le Red Ensign canadien pour illustrer l’une des cartes en le plaçant sur des branches d’érable avec un castor rongeant une branchette au-dessus et l’inscription « CANADA » au-dessous (fig. 1). Pour le reste de la série, des emblèmes provinciaux et municipaux remplaçaient l’écu du Dominion. Y figuraient les neufs provinces et d’importantes villes comme : Québec, Montréal, Kingston, Toronto et Vancouver [1]. Elle visait tous les coins peuplés du Canada d’un océan à l’autre.
Raphael Tuck & Sons produisait en quantité industrielle, pour l’Europe et pour l’Amérique, des cartes postales illustrant le pittoresque d’un pays, ses sites enchanteurs, ses monuments, son folklore et ses emblèmes. En plus de son siège social à Londres, la firme possédait des bureaux à New York et aussi à Montréal avant 1918. Après la fermeture de ses bureaux de Montréal à cause de la Grande Guerre, elle faisait connaître ses produits par des catalogues et des agents qui circulaient à travers le pays. La série de Raphael Tuck sur les armoiries canadiennes, n’était qu’une mince parcelle de sa production canadienne.
En 1892, l’Amirauté britannique avait autorisé le Red Ensign avec l’écu des quatre provinces originales sur le battant pour identifier les navires de la marine marchande canadienne enregistrés au Canada. Ce même drapeau était également arboré comme drapeau du pays, assez souvent avec toutes les provinces représentées (fig. 1 et 6-8). Le concepteur de la série avait choisi le Red Ensign canadien pour illustrer l’une des cartes en le plaçant sur des branches d’érable avec un castor rongeant une branchette au-dessus et l’inscription « CANADA » au-dessous (fig. 1). Pour le reste de la série, des emblèmes provinciaux et municipaux remplaçaient l’écu du Dominion. Y figuraient les neufs provinces et d’importantes villes comme : Québec, Montréal, Kingston, Toronto et Vancouver [1]. Elle visait tous les coins peuplés du Canada d’un océan à l’autre.
Fig. 1 Le Red Ensign canadien avec l’écu de quatre provinces sur le battant, utilisé comme drapeau du pays. Carte postale envoyée aux États-Unis à partir de Victoria, C.-B., estampillée le 3 août 1908.
Mettre les emblèmes du Québec sur le Red Ensign semble refléter un manque de courtoisie envers une province française. Les Québécois d’aujourd’hui, qui possèdent un drapeau national et s’identifient avec la fleur de lis, ne toléreraient pas ce genre d’aberration, mais quant était-il des habitants de la province à l’époque? Ils considéraient toujours le castor et la feuille d’érable comme leurs emblèmes, mais avec certaines hésitations chez ceux qui constataient que les anglophones avaient également adopté ces deux symboles. L’héraldiste Victor Morin exprime clairement ce sentiment en 1917 : « Le castor … n’est pas l’emblème du Canada français; il serait tout au plus celui du Canada, ce qui est encore contestable, car dans ce cas, la feuille d’érable serait plutôt l’emblème du Canada, mais à son tour, elle n’est pas l’emblème du Canada français plus particulièrement que celui du Canada anglais … [2]. »
Même si deux fleurs de lis figuraient en chef des armoiries du Québec depuis 1868 pour représenter les origines françaises de la majorité des habitants de la province, ce symbole commençait tout juste à s’imposer comme représentatif des Québécois. Il s’agissait d’une période charnière où castor, feuille d’érable et fleur de lis pouvaient se côtoyer dans le même emblème. En 1902, Frédéric-Alexandre Baillargé proposait comme drapeau du Québec un fond bleu semé de fleurs de lis d’or, l’écu de la province entre deux branches d’érable au centre et, sous l’écu, un castor et la devise provinciale. Vers 1908, l’artiste Georges Delfosse plaçait en champ bleu la croix blanche représentant la France chargée de la croix rouge anglaise. À l’angle supérieur gauche figurait une fleur de lis blanche et au centre un castor sur une branche d’érable accompagnés de la devise provinciale. Le Carillon-Sacré-Cœur fut pendant plusieurs décennies considéré comme drapeau national des Canadiens français après son adoption par le Comité du drapeau en 1903. Il se composait d’une croix blanche sur fond bleu cantonnée de quatre fleurs de lis, leur extrémité supérieure orientée vers le Sacré-Cœur au centre. En 1916, le 178e Bataillon canadien-français d'outre-mer (Corps expéditionnaire canadien), levé à Trois-Rivières, adoptait une version révisée du drapeau où le castor venait remplacer le Sacré-Cœur entre les branches d’érable.
Sur les cartes postales québécoises de Tuck, les armoiries de la province ou celles de grandes villes figuraient sur un drapeau qui était familier aux Québécois car il flottait aussi dans leur province avec les armoiries du Dominion comme drapeau du pays (fig. 1-5). Comme la plupart d’entre eux s’identifiaient encore à l’époque avec le castor et la feuille d’érable, également présents dans l’imagerie, ils n’y voyaient peut-être pas de sérieux problèmes de convenance. Sans doute y voyaient-ils aussi des créations anglaises destinées à des touristes anglais, en somme une affaire d’anglais qui les concernaient peu. On cherche en vain un seul mot français dans toute la série. Par exemple, sur la carte de la ville de Québec, l’inscription sur le listel sous l’écu est City of Quebec. En contemplant cette combinaison hétéroclite de symboles britanniques, canadiens et québécois, il est probable que des particuliers, comme les amateurs d’héraldique, grinçaient des dents, mais n’étaient pas nécessairement enclins à protester contre ces créations commerciales éphémères. De nos jours dans les boutiques de souvenirs, on rencontre de grandes quantités d’anomalies héraldiques qui reflètent la fantaisie des graphistes. Pourtant, personne ne semble protester publiquement contre ces entorses à l’art du blason sur des souvenirs qui se vendront pour quelques années et disparaitront.
Même si deux fleurs de lis figuraient en chef des armoiries du Québec depuis 1868 pour représenter les origines françaises de la majorité des habitants de la province, ce symbole commençait tout juste à s’imposer comme représentatif des Québécois. Il s’agissait d’une période charnière où castor, feuille d’érable et fleur de lis pouvaient se côtoyer dans le même emblème. En 1902, Frédéric-Alexandre Baillargé proposait comme drapeau du Québec un fond bleu semé de fleurs de lis d’or, l’écu de la province entre deux branches d’érable au centre et, sous l’écu, un castor et la devise provinciale. Vers 1908, l’artiste Georges Delfosse plaçait en champ bleu la croix blanche représentant la France chargée de la croix rouge anglaise. À l’angle supérieur gauche figurait une fleur de lis blanche et au centre un castor sur une branche d’érable accompagnés de la devise provinciale. Le Carillon-Sacré-Cœur fut pendant plusieurs décennies considéré comme drapeau national des Canadiens français après son adoption par le Comité du drapeau en 1903. Il se composait d’une croix blanche sur fond bleu cantonnée de quatre fleurs de lis, leur extrémité supérieure orientée vers le Sacré-Cœur au centre. En 1916, le 178e Bataillon canadien-français d'outre-mer (Corps expéditionnaire canadien), levé à Trois-Rivières, adoptait une version révisée du drapeau où le castor venait remplacer le Sacré-Cœur entre les branches d’érable.
Sur les cartes postales québécoises de Tuck, les armoiries de la province ou celles de grandes villes figuraient sur un drapeau qui était familier aux Québécois car il flottait aussi dans leur province avec les armoiries du Dominion comme drapeau du pays (fig. 1-5). Comme la plupart d’entre eux s’identifiaient encore à l’époque avec le castor et la feuille d’érable, également présents dans l’imagerie, ils n’y voyaient peut-être pas de sérieux problèmes de convenance. Sans doute y voyaient-ils aussi des créations anglaises destinées à des touristes anglais, en somme une affaire d’anglais qui les concernaient peu. On cherche en vain un seul mot français dans toute la série. Par exemple, sur la carte de la ville de Québec, l’inscription sur le listel sous l’écu est City of Quebec. En contemplant cette combinaison hétéroclite de symboles britanniques, canadiens et québécois, il est probable que des particuliers, comme les amateurs d’héraldique, grinçaient des dents, mais n’étaient pas nécessairement enclins à protester contre ces créations commerciales éphémères. De nos jours dans les boutiques de souvenirs, on rencontre de grandes quantités d’anomalies héraldiques qui reflètent la fantaisie des graphistes. Pourtant, personne ne semble protester publiquement contre ces entorses à l’art du blason sur des souvenirs qui se vendront pour quelques années et disparaitront.
Fig. 2 Le Red Ensign avec les armoiries du Québec. Carte postale envoyée aux États-Unis à partir de la ville de Québec, estampillée le 26 sept. 1911.
Fig. 3 Le Red Ensign avec les anciennes armoiries de Montréal, à l’origine sceau de la ville. Carte postale envoyée aux États-Unis à partir du Canada.
Fig. 4 Le Red Ensign avec les anciennes armoiries de Québec, à l’origine sceau de la ville.
En un sens, les cartes de Raphael Tuck étaient prophétiques. En 1965, l’Ontario adoptait le Red Ensign avec l’écu provincial sur le battant, composition qui est essentiellement la même que sur la carte, sauf pour la couronne qui surmonte l’écu et les branches d’érable (fig. 5). On retrouve un phénomène analogue pour le Manitoba qui adoptait aussi le Red Ensign avec les armoiries provinciales en 1966. Dans ce dernier cas, cependant, les armories sur la carte sont celles d’avant 1905 où le bison est lancé à la course. Ceci pourrait laisser penser que Tuck avait initié sa série un peu avant cette date, mais il est plus probable, vu les dates documentées, qu’il avait mêlé d’anciens et de nouveaux modèles. Pour la Colombie-Britannique, on retrouve aussi les anciennes armoiries, alors que pour la Saskatchewan et l’Alberta il s’agit des écus concédés en 1906 et 1907 respectivement.
Fig. 5 Le Red Ensign avec les armoiries de l’Ontario, essentiellement le drapeau provincial actuel. Carte postale envoyée aux États-Unis à partir de London, Ont., estampillée le 9 avril 1913.
Fig. 6 Le Red Ensign avec l’écu du Dominion aux armes de huit provinces et du territoire du Yukon, assiette fabriquée par Wedgwood en 1909. Collection Vachon, Musée canadien de l’histoire.
De 1900 environ jusqu’à la Première Guerre mondiale, il existait une grande soif pour des souvenirs emblématiques du Canada souvent qualifiés de patriotiques. On retrouvait des emblèmes canadiens, entre autres, sur des pièces de céramique, des petites cuillères en argent, des broches, des boucles de ceinture, des vide-poches et, bien entendu, des cartes postales (fig. 7-8).
Tuck concurrençait avec plusieurs compagnies qui produisaient aussi des cartes postales héraldiques, par exemple : Valentine’s & Sons, de Grande-Bretagne, Toronto et Montréal, Nerlich & Co. de Toronto, Warwick Bros. & Rutter de Toronto, W.G. MacFarlane de Toronto, F.H. Leslie Limited de Niagara Falls, Cloke & Son de Hamilton, la New Brunswick Tourist Association, Woolstone Bros. de Londres, Stoddart & Co. de Halifax, West Yorkshire, Angleterre, dont les cartes portaient le nom de Ja-Ja et probablement aussi de B.A.C.T., Paul Kohl de Chemnitz en Allemagne, et une foule d’autres firmes ou organismes qui ne s’identifiaient pas sur les cartes. Dans ce climat de concurrence féroce, justement pendant la période considérée l’âge d’or des cartes postales, Tuck devait se montrer à la hauteur en créant des compositions imaginatives qui suscitaient l’intérêt aussi bien des Canadiens que des Américains qui les achetaient comme souvenirs ou pour faire parvenir un mot à la parenté ou aux amis surtout au Canada et aux États-Unis. Dans ce climat d’effervescence commerciale à l’intérieur d’un créneau spécialisé où la clientèle visée était avant tout anglophone, la firme a créé une série comprenant quelques cartes qui mêlaient des symboles du Québec à un drapeau britannique, une combinaison qui manquait d’égards envers une province d’origine et de tradition françaises.
N.B. Sauf figure 6, les pièces illustrées ici appartiennent à A. & P. Vachon.
N.B. Sauf figure 6, les pièces illustrées ici appartiennent à A. & P. Vachon.
Quebec on the Red Ensign: a commercial fantasy
Summary
Summary
In 1907 or 1908, Tuck & Sons, a firm of London (England) having an office in Montreal, began publishing a series of postcards to display the arms of the Dominion of Canada, of all the provinces in Confederation and of major Canadian cities (see site: : http://tuckdb.org/sets/12250 consulted 31 May 2014). The basis of the series was the Red Ensign, which had been used as the flag of Canada shortly after Confederation with the shield of the Dominion in the fly. The shield sometimes contained the arms of the four original provinces to join Confederation and, more often, those of all the provinces (figs. 1 & 6-8). The designer placed the Red Ensign on a branch of maple with a beaver gnawing at the branch above the flag and the inscription CANADA below. One card displayed the Dominion arms on the flag (fig. 1). For the other cards, the arms were replaced with those of provinces or major cities. In a sense, the series was prophetic for Ontario and Manitoba, which have adopted the Red Ensign with their provincial arms in the fly in 1965 and 1966 respectively (fig. 5). Though the series of postcards was fanciful, placing the arms of the Province of Québec and of its cities in the fly of the Red Ensign, the flag of the British Merchant Marine, was not especially appropriate for a province of French origins and traditions (figs 2-4).
Notes
[1] Voir le site: http://tuckdb.org/sets/12250, consulté le 27 mai 2014.
[2] Victor Morin cité dans un rapport intitulé « Les armoiries de Montréal ne sont pas véridiques » par Conrad Archambault, Archives municipales de Montréal.
[1] Voir le site: http://tuckdb.org/sets/12250, consulté le 27 mai 2014.
[2] Victor Morin cité dans un rapport intitulé « Les armoiries de Montréal ne sont pas véridiques » par Conrad Archambault, Archives municipales de Montréal.