Le tourisme héraldique : France
Auguste Vachon, héraut Outaouais émérite
Publié originalement dans Heraldry in Canada / L’Héraldique au Canada, vol. 50, no 1, 2016, p. 12-25.
De nos jours, les catégories de tourisme foisonnent : médical, culturel, écologique, sportif, culinaire, généalogique etc. La désignation « tourisme héraldique » ne semble pas exagérée, par exemple, lorsqu’il s’agit d’un congrès international qui s’accompagne de conférences et de visites d’intérêt connexe. Du reste, le tourisme héraldique pourrait devenir l’objectif principal d’un voyage organisé, voire même le thème d’un congrès ou d’un guide de voyage. Mais, même si le but premier d’un voyage n’est pas l’héraldique, celui qui s’intéresse à cette discipline voudra prendre des photographies de tout ce qui comporte une dimension emblématique. C’est ce que mon épouse Paula, photographe de la famille, a fait lors de notre visite récente en France. Certaines illustrations comportent des liens héraldiques intéressants avec le Canada.
Fig. 1. Porc-épic de Louis XII (1462-1515), roi de France (1498-1515, sous sa statue équestre ornant la façade du château royal de Blois. La devise de Louis XII était « Qui s’y frotte s’y pique ». La lettre L représente le roi alors que la lettre A désigne son épouse Anne de Bretagne.
Entre 1498 et 1503, Louis XII, qui était né au château de Blois, entreprit sa reconstruction pour y habiter avec Anne de Bretagne qu’il épousait en 1499, suite à l’annulation de son premier mariage à Marie de Clèves.
Fig. 2. La salamandre de François Ier sur une terrasse et un champ semés de flammes, accompagnée de la couronne royale. Orne la cheminée de la salle des capitaines de garde, aile François Ier, château royal de Blois.
Lorsque François 1er succéda à Louis XII en 1515, son épouse, Claude de France, qui avait été élevée à Blois et y demeurait très attachée, lui demanda de réaménager le château pour en faire leur résidence principale. Après la mort de la reine en 1524, le roi n’y passa que très peu de temps.
C’est sous l’égide de François Ier que Jacques Cartier découvrait des terres nouvelles à l’ouest de Terre-Neuve. La croix qu’il plantait sur la côte de Gaspé, le 24 juillet 1534, arborait les armes royales accompagnées de l’inscription VIVE LE ROY DE FRANCE. Celle plantée à Québec, le 3 mai 1536, portait aussi l’écu royal et l’inscription FRANCISCVS PRIMUS, DEI GRATIA FRANCORUM REX REGNAT (François premier, par la grâce de Dieu, roi des Français, règne).
Une salamandre figure au milieu de son brasier (appelé sa patience) sur la fasce des armoiries de Thetford Mines conçues par le Collège canadien des armoiries de Montréal et présentées au maire de la ville, Rodolphe Caouette, en 1957. On retrouve la même salamandre en chef des armoiries d’Asbestos qui sont également dans le style du Collège canadien des armories. Ce symbole est admirablement bien choisi, car non seulement la salamandre résiste au feu comme l’amiante pour laquelle ces villes sont connues, mais on la croyait revêtue d’une laine d’amiante. Elle était aussi réputée à la fois se nourrir du feu et l’éteindre, ce qui fait écho à la devise de François Ier, Nutrisco et exstinguo (Je m'y nourris et je l'éteins). Deux magnifiques salamandres servant de supports aux armoiries de la Fédération des francophones de Terre-Neuve et du Labrador font allusion à François Ier et à Jacques Cartier : http://reg.gg.ca/heraldry/pub-reg/project-pic.asp?lang=f&ProjectID=481&ProjectElementID=1613 consulté le 4 janvier 2016.
C’est sous l’égide de François Ier que Jacques Cartier découvrait des terres nouvelles à l’ouest de Terre-Neuve. La croix qu’il plantait sur la côte de Gaspé, le 24 juillet 1534, arborait les armes royales accompagnées de l’inscription VIVE LE ROY DE FRANCE. Celle plantée à Québec, le 3 mai 1536, portait aussi l’écu royal et l’inscription FRANCISCVS PRIMUS, DEI GRATIA FRANCORUM REX REGNAT (François premier, par la grâce de Dieu, roi des Français, règne).
Une salamandre figure au milieu de son brasier (appelé sa patience) sur la fasce des armoiries de Thetford Mines conçues par le Collège canadien des armoiries de Montréal et présentées au maire de la ville, Rodolphe Caouette, en 1957. On retrouve la même salamandre en chef des armoiries d’Asbestos qui sont également dans le style du Collège canadien des armories. Ce symbole est admirablement bien choisi, car non seulement la salamandre résiste au feu comme l’amiante pour laquelle ces villes sont connues, mais on la croyait revêtue d’une laine d’amiante. Elle était aussi réputée à la fois se nourrir du feu et l’éteindre, ce qui fait écho à la devise de François Ier, Nutrisco et exstinguo (Je m'y nourris et je l'éteins). Deux magnifiques salamandres servant de supports aux armoiries de la Fédération des francophones de Terre-Neuve et du Labrador font allusion à François Ier et à Jacques Cartier : http://reg.gg.ca/heraldry/pub-reg/project-pic.asp?lang=f&ProjectID=481&ProjectElementID=1613 consulté le 4 janvier 2016.
Fig. 3. Hermine de Claude de France, duchesse de Bretagne, sur un champ semé de mouchetures d’hermines, accompagnée d’une couronne. Orne (avec fig. 2) la cheminée de la salle des capitaines de garde, aile François Ier, château royal de Blois. Claude de France était l’épouse de François Ier et la fille de Louis XII de France et d’Anne de Bretagne.
Fig. 4. Armes et bannière d’hermine plein des ducs de Bretagne. Illustration tirée de Joubert, Les lys et les lions, 1947.
Les armoiries et le drapeau de Bretagne sont d’hermine plein et les mouchetures d’hermine sont omniprésentes dans les armoiries de cette ancienne province. Le petit mammifère carnivore lui-même, portant au cou une échappe semée de mouchetures d’hermine flottant au-dessus de son dos, se retrouve dans les armoiries de plusieurs municipalités bretonnes : Auray, Le Cours, Quiberon, Saint-Malo, Savenay et Vannes. Saint-Malo, ville natale de Jacques Cartier, d’où il partit à la découverte du Canada, se situait dans le duché de Bretagne, ce qui explique que l’un de ses navires s’appelait Grande Hermine et l’autre Petite Hermine. L’hermine bretonne figure aussi, de façon plutôt surprenante, dans les armoiries de l’un des pères de la Confédération. En 1868, Londres accordait le titre de baronnet et des armoiries à George-Étienne Cartier, (fig. 5). Celles-ci arboraient une hermine en chef, car sir George-Étienne revendiquait un lien de parenté avec Jacques Cartier, même s’il ne détenait pas de preuves solides dans ce sens.
L’attribution de certaines armoiries douteuses à Jacques Cartier ne semble avoir débuté qu’au XXe siècle. Alors de quoi sir Georges-Étienne s’est-il inspiré pour établir le contenu de ses armoiries? Une gravure de Jacques Cartier publiée au XIXe siècle, inscrite « Rouarge frères del. et sc. », montre dans la marge supérieure une version des armoiries de Saint-Malo esquissée à grands traits comme il arrive assez souvent dans les reproductions commerciales. Cette gravure existait au moment où George-Étienne reçut ses armoiries puisqu’Émile Rouargue, l’aîné des frères Rouargue, était décédé en 1865. Comme des armories accompagnent souvent des portraits, on a évidemment cru qu’il s’agissait de celles de Jacques Cartier. Une comparaison des deux armoiries (fig. 5 et 6) démontre que c’est effectivement cette gravure qui a servie de modèle pour l’écu de sir George-Étienne Cartier. Leur contenu est identique, sauf pour la main rouge qui représente un baronnet du Royaume-Uni, et les émaux sont les mêmes, sauf pour les nuances de couleurs.
L’attribution de certaines armoiries douteuses à Jacques Cartier ne semble avoir débuté qu’au XXe siècle. Alors de quoi sir Georges-Étienne s’est-il inspiré pour établir le contenu de ses armoiries? Une gravure de Jacques Cartier publiée au XIXe siècle, inscrite « Rouarge frères del. et sc. », montre dans la marge supérieure une version des armoiries de Saint-Malo esquissée à grands traits comme il arrive assez souvent dans les reproductions commerciales. Cette gravure existait au moment où George-Étienne reçut ses armoiries puisqu’Émile Rouargue, l’aîné des frères Rouargue, était décédé en 1865. Comme des armories accompagnent souvent des portraits, on a évidemment cru qu’il s’agissait de celles de Jacques Cartier. Une comparaison des deux armoiries (fig. 5 et 6) démontre que c’est effectivement cette gravure qui a servie de modèle pour l’écu de sir George-Étienne Cartier. Leur contenu est identique, sauf pour la main rouge qui représente un baronnet du Royaume-Uni, et les émaux sont les mêmes, sauf pour les nuances de couleurs.
Fig. 5. Armoiries de sir George-Étienne Cartier concédées en 1868. Tirées de Beddoe’s Canadian Heraldry, p. 51. À comparer avec fig. 6.
Fig. 6. Une version difforme des armoiries de Saint-Malo au-dessus d’un portrait de Jacques Cartier gravé par Rouargue frères, avant 1865 (fig. 6a). À comparer avec fig. 5. Précisons qu’aucun portrait authentique de Jacques Cartier n’a été découvert. Voir les armoiries de Saint-Malo sur le site : https://fr.wikipedia.org/wiki/Saint-Malo#/media/File:Blason_ville_fr_Saint-Malo.svg, consulté le 4 janvier 2016.
Fig. 6a Portrait de Jacques Cartier gravé par Rouargue frères. Bibliothèque et Archives Canada.
Fig. 7. Le pélican qui nourrit ses petits de son sang est une figure bien connue en héraldique. Le pélican dit « dans sa piété » est un symbole de sacrifice et d’instinct nourricier. Il représente également le Christ qui verse son sang pour l’humanité. Cette magnifique pièce se retrouve à quatre exemplaires à l’intérieur de la chapelle de l’Assomption dans l’église Saint Sulpice de Paris.
Fig. 8. Le pélican qui nourrit ses oisillons de son sang est un symbole de sacrifice et de don de soi dans les armoiries des Sœurs rises de l’Immaculée-Conception de Pembroke (Ontario), accordées en 1958. Provient de Beddoe’s Canadian Heraldry, p. 114.
Fig. 9. Armoiries du pape Paul V (1605-1621) sur la façade de l’Hôtel des Monnaies (Conservatoire de musique Olivier Messiaen) édifié en 1619 par le vice-légat Jean-François de Bagni et dédié au pape régnant Paul V. L’Hôtel est situé en face du Palais des Papes à Avignon.
Les armoiries, meublées d’une aigle et d’un dragon, sont celles des Borghèse, la famille de Paul V. Il peut paraître surprenant de voir l’Hôtel des Monnaies dédié à un chef de l’Église, d’autant plus qu’il ne compte pas parmi les papes d’Avignon. Notons cependant qu’après le départ du dernier pape d'Avignon en 1403, la ville et le Comtat Venaissin vécurent encore près de quatre siècles sous le gouvernement de la papauté.
Fig. 10. L’une des aigles impériales entre les arches du pont d’Iéna construit de 1808 à 1814 par l'ingénieur Lamandé au lendemain de la victoire de Napoléon à Iéna en 1806. Elle porte une couronne de laurier, symbole de victoire, et tient dans ses serres (empiète) un foudre, attribut de Jupiter. À la restauration, Louis XVIII rebaptise le pont « pont de l'École militaire » et substitue le sigle royal "L" à l’aigle. À la révolution de 1830, le pont retrouve son nom originel et de grandes aigles impériales sculptées par Antoine-Louis Barye en 1853 apparaissent sur ses flancs.
Napoléon avait établi sa propre hiérarchie nobiliaire avec un système héraldique spécifique. Ce système impliquait au moins un Canadien, François-Joseph d’Estienne de Chaussegros de Léry (1754-1824), descendant d’une famille d’ingénieurs militaires du Canada. Il servit comme ingénieur en chef dans l'armée impériale de Napoléon I et fut créé baron militaire de l’Empire par lettres patentes du 4 janvier 1811. L’histoire assez complexe de ses armoiries fera l’objet d’un article subséquent.
Il va sans dire que ces quelques exemplaires sont un mince échantillon du patrimoine héraldique de la France qui est remarquable et énorme.
Il va sans dire que ces quelques exemplaires sont un mince échantillon du patrimoine héraldique de la France qui est remarquable et énorme.
Références
BARBER, Richard et Anne Riches, A Dictionary of Fabulous Beasts, Woodbridge, The Boydell Press, 1996, p. 127-128.
GARNEAU, Stéphan, « La salamandre de François Ier à … Thetford Mines », Heraldry in Canada / L’Héraldique au Canada, vol. 38, no 3, automne 2004, p. 31-33.
VACHON, Auguste, « L’héraldique de Jacques Cartier », Heraldry in Canada / L’Héraldique au Canada, vol. 18, no 3, sept. 1984, p. 4-11.
BARBER, Richard et Anne Riches, A Dictionary of Fabulous Beasts, Woodbridge, The Boydell Press, 1996, p. 127-128.
GARNEAU, Stéphan, « La salamandre de François Ier à … Thetford Mines », Heraldry in Canada / L’Héraldique au Canada, vol. 38, no 3, automne 2004, p. 31-33.
VACHON, Auguste, « L’héraldique de Jacques Cartier », Heraldry in Canada / L’Héraldique au Canada, vol. 18, no 3, sept. 1984, p. 4-11.
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Heraldic Tourism : France (Summary)
The categories of tourism have multiplied in recent years, for instance: ecotourism, sport, medical, cultural, culinary, genealogical, etc. The designation “heraldic tourism” can surely be applied to those who attend international heraldic congresses with tours of related interest. The heraldic attractions in various countries could also become the main objective of an organized tour, be the theme of a congress or of a travel guide. But even if the first object of a trip is not heraldic, enthusiasts of the discipline will want to take photographs of any emblematic feature they encounter. This is what my wife Paula, the family photographer, did during our recent trip to France.
Most of the photos have a heraldic connection to Canada. For instance, the salamander of Francis I (fig. 2) at the Royal Château of Blois represents the king under whose patronage Cartier took possession of lands west of Newfoundland and planted crosses bearing the name and arms of his sovereign, one on the Gaspé coast in 1534 and another at Quebec in 1536. The ermine of Brittany (fig. 3) is likewise linked to Cartier because the city of Saint-Malo where he was born and sailed on his voyages of discovery was in the Duchy of Brittany. Moreover the explorer named one of his ships Grande Hermine and the other Petite Hermine to honour his native duchy which is symbolized by ermine spots (fig. 4).
Brittany also has another surprising Canadian link. In 1868 George-Étienne Cartier was created a baronet and granted arms. Though he had no proof of this, he believed that he was descended from the explorer Jacques Cartier. Apparently no arms had been attributed to the explorer at that time, but there existed an engraved portrait of him which featured at the top a distorted version of the arms of Saint-Malo. Since arms often accompany portraits, these arms were evidently viewed as those of Jacques Cartier. The engraved depiction clearly served as the basis for the arms of Sir George-Étienne. Compare figures 5 and 6 which are identical except for the hues of colour and the red hand of a Baronet of the United Kingdom.
The imperial badge (fig. 10) raises the question as to whether any Canadian has received a title and the corresponding marks of dignity from Napoleon’s regime? One was found in the person of François-Joseph d’Estienne de Chaussegros de Léry (1754-1824) who was created a Baron of the Empire in 1811. The rather complex history of his arms will be dealt with in a subsequent article.
Needless to say that these few examples do not even scratch the surface of France’s heraldic heritage which is rich and enormous. A.V.
Most of the photos have a heraldic connection to Canada. For instance, the salamander of Francis I (fig. 2) at the Royal Château of Blois represents the king under whose patronage Cartier took possession of lands west of Newfoundland and planted crosses bearing the name and arms of his sovereign, one on the Gaspé coast in 1534 and another at Quebec in 1536. The ermine of Brittany (fig. 3) is likewise linked to Cartier because the city of Saint-Malo where he was born and sailed on his voyages of discovery was in the Duchy of Brittany. Moreover the explorer named one of his ships Grande Hermine and the other Petite Hermine to honour his native duchy which is symbolized by ermine spots (fig. 4).
Brittany also has another surprising Canadian link. In 1868 George-Étienne Cartier was created a baronet and granted arms. Though he had no proof of this, he believed that he was descended from the explorer Jacques Cartier. Apparently no arms had been attributed to the explorer at that time, but there existed an engraved portrait of him which featured at the top a distorted version of the arms of Saint-Malo. Since arms often accompany portraits, these arms were evidently viewed as those of Jacques Cartier. The engraved depiction clearly served as the basis for the arms of Sir George-Étienne. Compare figures 5 and 6 which are identical except for the hues of colour and the red hand of a Baronet of the United Kingdom.
The imperial badge (fig. 10) raises the question as to whether any Canadian has received a title and the corresponding marks of dignity from Napoleon’s regime? One was found in the person of François-Joseph d’Estienne de Chaussegros de Léry (1754-1824) who was created a Baron of the Empire in 1811. The rather complex history of his arms will be dealt with in a subsequent article.
Needless to say that these few examples do not even scratch the surface of France’s heraldic heritage which is rich and enormous. A.V.