Les pavillons de la marine marchande en Nouvelle-France
Auguste Vachon, héraut Outaouais émérite
Un article précédent était consacré à la bannière de France et au pavillon blanc : leur présence sur les forts et autres établissements en Nouvelle-France et leur rôle dans les cérémonies de prise de possession de territoires nouvellement explorés (voir : http://heraldicscienceheraldique.com/banniegravere-de-france-et-pavillon-blanc-en-nouvelle-france.html). Ici nous examinons la documentation relative aux pavillons déployés par les bateaux marchands français qui fréquentaient les eaux du Canada. Le pavillon blanc constitue un volet important de cette étude de même que des pavillons plus spécifiques à la marine marchande, un drapeau bleu à croix blanche et le même drapeau portant les armes de France. Nous verrons également les traces que ces anciennes marques françaises ont laissées dans l’héraldique du Québec.
Marc Lescarbot décrit le premier incident connu impliquant un pavillon blanc. Au printemps de 1606, les ravitaillements attendus de France n’arrivant pas à Port-Royal, François Gravé Du Pont, gouverneur du lieu, et Samuel de Champlain firent monter les habitants sur deux barques et, le 17 juillet, partirent pour Campseau (Canso). Seuls deux français étaient demeurés sur place pour garder le fort, un dit La Taille et un nommé Miquelet.
En septembre de l’année précédente, Pierre Du Gua de Monts, lieutenant général de l’Acadie, était retourné en France pour défendre son projet de colonisation et trouver le financement nécessaire pour le mener à bon port. Avec l’appui de marchands de La Rochelle, il avait réussi à armer un navire, le Jonas, et avait choisi Jean Biencourt de Poutrincourt pour commander l’expédition et remplacer François Gravé Du Pont comme gouverneur de Port Royal. Le navire transportait environ 50 nouveaux colons parmi lesquels comptaient plusieurs noms bien connus, entre autres, le colon et apothicaire, Louis Hébert et l’avocat, dramaturge et poète Marc Lescarbot. Lorsque le Jonas s’approchait de Port-Royal le 27 juillet, La Taille, qui était demeuré là pour protéger le fort, somma l’équipage de s’identifier, arquebuse en main, prêt à faire feu : « … l'un de ces deux hommes là demeurés, dit La Taille, vint sur la rive du port la mèche sur le serpentin pour savoir qui nous étions (quoiqu'il le sut bien, car nous avions la bannière blanche déployée à la pointe du mât) … [1]. »
Marc Lescarbot décrit le premier incident connu impliquant un pavillon blanc. Au printemps de 1606, les ravitaillements attendus de France n’arrivant pas à Port-Royal, François Gravé Du Pont, gouverneur du lieu, et Samuel de Champlain firent monter les habitants sur deux barques et, le 17 juillet, partirent pour Campseau (Canso). Seuls deux français étaient demeurés sur place pour garder le fort, un dit La Taille et un nommé Miquelet.
En septembre de l’année précédente, Pierre Du Gua de Monts, lieutenant général de l’Acadie, était retourné en France pour défendre son projet de colonisation et trouver le financement nécessaire pour le mener à bon port. Avec l’appui de marchands de La Rochelle, il avait réussi à armer un navire, le Jonas, et avait choisi Jean Biencourt de Poutrincourt pour commander l’expédition et remplacer François Gravé Du Pont comme gouverneur de Port Royal. Le navire transportait environ 50 nouveaux colons parmi lesquels comptaient plusieurs noms bien connus, entre autres, le colon et apothicaire, Louis Hébert et l’avocat, dramaturge et poète Marc Lescarbot. Lorsque le Jonas s’approchait de Port-Royal le 27 juillet, La Taille, qui était demeuré là pour protéger le fort, somma l’équipage de s’identifier, arquebuse en main, prêt à faire feu : « … l'un de ces deux hommes là demeurés, dit La Taille, vint sur la rive du port la mèche sur le serpentin pour savoir qui nous étions (quoiqu'il le sut bien, car nous avions la bannière blanche déployée à la pointe du mât) … [1]. »
Fig. 1 Le pavillon blanc de la marine royale ou marine de guerre. Gustave Desjardins, Recherches sur les drapeaux français, planche XI.
Le Jonas, appartenait évidemment à la marine marchande puisque la commission royale accordée à de Monts était essentiellement commerciale et, comme nous l’avons vu, il avait dû trouver lui-même des bailleurs de fonds pour financer son entreprise. Le texte de Lescarbot confirme qu’on associait déjà les Français au pavillon blanc et qu’il servait aussi à identifier la marine marchande, bien qu’affecté en propre à la marine royale. La désignation « bannière blanche » semble significative, car une bannière n’est pas un drapeau maritime. On l’utilisait à
l’époque pour désigner le seul drapeau à caractère national, la bannière de
France qui était une bannière aux armes royales : un champ bleu meublé de
trois fleurs de lis dorées. C’est comme si Lescarbot
mettaient le pavillon blanc et la bannière de France, qui était de son temps,
sur un pied d’égalité. Cette tendance chez les habitants de la
Nouvelle-France à considérer le pavillon
blanc comme drapeau national ira en s’accentuant jusqu’à la fin du Régime
français (voir : http://heraldicscienceheraldique.com/banniegravere-de-france-et-pavillon-blanc-en-nouvelle-france.html).
Lorsque Champlain retourna à Québec en juillet 1632, à la suite du traité de Saint-Germain-en-Laye, les habitants restés sur place éprouvèrent une grande joie à la vue du drapeau blanc, comme nous l’apprend le père Le Jeune : « Quant ils virent arriver ces pavillons blancs sur les mâts de nos vaisseaux, ils ne savaient à qui dire leur contentement … [2]. » L’Ex-voto de Monsieur Juing daté de 1696 et conservé au Sanctuaire de Sainte-Anne-de Beaupré est illustré d’une scène où trois vaisseaux hollandais menacent le navire d’un marchand de Bordeaux qui arbore trois pavillons blancs, un à chaque mât [3]. Nous savons aussi que l’usage du pavillon blanc était répandu dans la marine marchande puisqu’une ordonnance de 1661 interdisait aux navires de commerce d’arborer le blanc de la marine royale pour se donner du prestige et en tirer des avantages. D’ailleurs la marine marchande possédait un pavillon qui lui était spécifique [4].
Dans la seconde moitié du XVe siècle, les vaisseaux marchands français commencent à se démarquer par un pavillon rouge à croix blanche [5]. Au début du siècle suivant, le champ du drapeau devient bleu : « Mais le rouge disparaît rapidement et le bleu se rencontre dès le début du XVIe siècle et est seul utilisé sous le règne d’Henri IV [6]. » René Chartrand confirme cette transformation : « Champlain, pour sa part, nous montre les vaisseaux arborant des pavillons à croix blanche car ses expéditions au Canada étaient surtout commerciales. Cependant ce dernier pavillon, répandu sur les navires de la marine marchande, avait subi une autre transformation. Sa couleur de fond était passée du rouge au bleu, cette couleur étant pratiquement la seule utilisée sous Henri IV (1589-1610) [7]. » (fig. 2-4) La relation de 1616 du jésuite Pierre Biard mentionne un drapeau à croix et fleurs de lis : « … que Votre Majesté croissant d’âge et de zèle puisse un jour arborer l’étendard de la croix avec ses fleurs de lys royales aux terres les plus écartées des infidèles … » [8]. De quel drapeau s’agit-il ? Il ne semble pas exister de drapeau à croix et fleurs de lis représentant Louis XIII ou la France à l’époque [9].
Lorsque Champlain retourna à Québec en juillet 1632, à la suite du traité de Saint-Germain-en-Laye, les habitants restés sur place éprouvèrent une grande joie à la vue du drapeau blanc, comme nous l’apprend le père Le Jeune : « Quant ils virent arriver ces pavillons blancs sur les mâts de nos vaisseaux, ils ne savaient à qui dire leur contentement … [2]. » L’Ex-voto de Monsieur Juing daté de 1696 et conservé au Sanctuaire de Sainte-Anne-de Beaupré est illustré d’une scène où trois vaisseaux hollandais menacent le navire d’un marchand de Bordeaux qui arbore trois pavillons blancs, un à chaque mât [3]. Nous savons aussi que l’usage du pavillon blanc était répandu dans la marine marchande puisqu’une ordonnance de 1661 interdisait aux navires de commerce d’arborer le blanc de la marine royale pour se donner du prestige et en tirer des avantages. D’ailleurs la marine marchande possédait un pavillon qui lui était spécifique [4].
Dans la seconde moitié du XVe siècle, les vaisseaux marchands français commencent à se démarquer par un pavillon rouge à croix blanche [5]. Au début du siècle suivant, le champ du drapeau devient bleu : « Mais le rouge disparaît rapidement et le bleu se rencontre dès le début du XVIe siècle et est seul utilisé sous le règne d’Henri IV [6]. » René Chartrand confirme cette transformation : « Champlain, pour sa part, nous montre les vaisseaux arborant des pavillons à croix blanche car ses expéditions au Canada étaient surtout commerciales. Cependant ce dernier pavillon, répandu sur les navires de la marine marchande, avait subi une autre transformation. Sa couleur de fond était passée du rouge au bleu, cette couleur étant pratiquement la seule utilisée sous Henri IV (1589-1610) [7]. » (fig. 2-4) La relation de 1616 du jésuite Pierre Biard mentionne un drapeau à croix et fleurs de lis : « … que Votre Majesté croissant d’âge et de zèle puisse un jour arborer l’étendard de la croix avec ses fleurs de lys royales aux terres les plus écartées des infidèles … » [8]. De quel drapeau s’agit-il ? Il ne semble pas exister de drapeau à croix et fleurs de lis représentant Louis XIII ou la France à l’époque [9].
Fig. 2 Pavillon à une croix au grand mât, détail de la carte « Isle de sainte Croix 1604-1605 », tirée des Voyages du Sieur de Champlain, 1613.
Fig. 3 Pavillon et flamme à une croix, détail d’une carte, « La Nouvelle-France, 1612 », par Champlain. Bibliothèque et Archives Canada, NMC 6327.
Fig. 4 Le pavillon bleu à croix blanche de la marine marchande. Gustave Desjardins, Recherches sur les drapeaux français, planche XII.
D’autres documents viennent confirmer l’emploi du pavillon bleu à croix blanche au XVIIe siècle, tout d’abord l’Hydrographie du père Fournier de 1643 qui nous informe « que la Marine de commerce porte le pavillon bleu à croix blanche [10]. » Une peinture au Monastère des Ursulines de Québec, intitulée « La France apportant la foi aux Hurons de Nouvelle-France » montre ce même pavillon au grand mât d’un navire marchand. On a récemment daté cette toile de 1665-1666 environ. En effet, la figure principale, Anne d’Autriche représentant la France, est décédée en 1666 [11]. Le fait que l’ordonnance de 1661 ajoutait au pavillon marchand les armes de France sur la croix blanche (fig. 5), semblerait indiquer une date un peu plus reculée, mais ce n’est qu’un faible indice, car il est bien connu que les marchands montraient peu de zèle à respecter les règlements concernant l’usage des drapeaux.
L’ordonnance du 9 octobre 1661 interdisait aux navires marchands « d’arborer le pavillon blanc pour en tirer avantage dans leur commerce et leur navigation, au préjudice souvent de l’honneur qui y est dû … et veut et ordonne qu’ils arborent seulement l’ancien pavillon de la nation française, qui est la croix blanche dans un étendard d’étoffe bleue, avec l’écu des armes de Sa Majesté sur le tout [12]. » (fig. 5) Une seconde ordonnance du 15 août 1689 autorisait les navires de commerce à ajouter les colliers des ordres du roi autour de l’écu mais sans supports (fig. 6) [13].
L’ordonnance du 9 octobre 1661 interdisait aux navires marchands « d’arborer le pavillon blanc pour en tirer avantage dans leur commerce et leur navigation, au préjudice souvent de l’honneur qui y est dû … et veut et ordonne qu’ils arborent seulement l’ancien pavillon de la nation française, qui est la croix blanche dans un étendard d’étoffe bleue, avec l’écu des armes de Sa Majesté sur le tout [12]. » (fig. 5) Une seconde ordonnance du 15 août 1689 autorisait les navires de commerce à ajouter les colliers des ordres du roi autour de l’écu mais sans supports (fig. 6) [13].
Fig. 5 Le pavillon bleu à croix blanche portant au centre l’écu de France, autorisé pour la marine marchande par ordonnance de 1661. Gustave Desjardins, Recherches sur les drapeaux français, planche XI.
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Fig. 6 Le pavillon bleu à croix blanche portant au centre l’écu de France, sommé de la couronne royale et entouré des colliers de l’ordre de Saint-Michel et de l’ordre du Saint-Esprit, autorisé pour la marine marchande par ordonnance de 1689. Gustave Desjardins, Recherches sur les drapeaux français, planche XI.
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Le pavillon bleu à croix blanche avec les armes ajoutées fut contraint de céder la place au pavillon blanc qui « remplaça peu à peu le bleu et blanc de sorte qu’il était presque universellement utilisé par les marchands français au milieu du XVIIIe siècle. Le Roi s’inclina finalement et accorda officiellement le drapeau blanc à la marine marchande en 1765. La Compagnie des Indes avait toutefois eu le privilège de l’arborer dès 1696 [14]. »
Il faut écarter la notion que des drapeaux blancs illustrent une carte de Gerolamo da Verrazzano dressée en 1529 [15]. Cette carte des côtes de l’Atlantique s’intitule Nova Gallia (Nouvelle-France) en l’honneur de la France et du roi François Ier au nom duquel Giovanni da Verrazzano, le frère du cartographe, explorait l’Amérique. On y voit trois drapeaux sur terre au niveau des États-Unis d’aujourd’hui. Ceux qui ont conclut qu’il s’agissait de drapeaux blancs ont sans doute consulté une copie abrégée en noir et blanc de la carte. Sur l’original détenu par la Biblioteca Apostolica Vaticana, on constate que le champ des drapeaux est d’un bleu très foncé, presque noir [16]. Le pays que Verrazzano voulait représenter par ces trois drapeaux, n’était pas nécessairement la France. Sur la même carte figurent aussi les armes de la Bretagne et une inscription en rouge « c. de bretton » (cap Breton) et, plus au nord, une croix sur un écu qui représentait l’Angleterre à l’époque [17]. Il est tout à fait possible que les trois drapeaux bleu foncé désignaient les explorations portugaises [18].
Il faut écarter la notion que des drapeaux blancs illustrent une carte de Gerolamo da Verrazzano dressée en 1529 [15]. Cette carte des côtes de l’Atlantique s’intitule Nova Gallia (Nouvelle-France) en l’honneur de la France et du roi François Ier au nom duquel Giovanni da Verrazzano, le frère du cartographe, explorait l’Amérique. On y voit trois drapeaux sur terre au niveau des États-Unis d’aujourd’hui. Ceux qui ont conclut qu’il s’agissait de drapeaux blancs ont sans doute consulté une copie abrégée en noir et blanc de la carte. Sur l’original détenu par la Biblioteca Apostolica Vaticana, on constate que le champ des drapeaux est d’un bleu très foncé, presque noir [16]. Le pays que Verrazzano voulait représenter par ces trois drapeaux, n’était pas nécessairement la France. Sur la même carte figurent aussi les armes de la Bretagne et une inscription en rouge « c. de bretton » (cap Breton) et, plus au nord, une croix sur un écu qui représentait l’Angleterre à l’époque [17]. Il est tout à fait possible que les trois drapeaux bleu foncé désignaient les explorations portugaises [18].
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La croix blanche sur fond bleu du drapeau du Québec remonte au tout début de la colonisation française sur le territoire canadien ainsi que l’atteste les cartes de Champlain : l’une de l’île Sainte-Croix (Dochet Island) dessinée en1604-1605 et l’autre de la Nouvelle-France datée de 1612 (fig. 2-3) Ces gravures ne montrent pas de couleurs, mais l’utilisation de la croix blanche en champ bleu par la marine marchande française est bien documentée. Outre le pavillon de la marine marchande française, il existait peu de drapeaux maritimes français à une simple croix sans ajouts. La ville de Calais et la Provence arboraient aussi une croix blanche sur fond bleu, mais il n’y a pas de lien apparent entre les entreprises de colonisation du temps de Champlain et cette ville ou cette province [19]. La croix blanche sur fond bleu arborée par la marine marchande dès le XVIe siècle avec l’ajout de fleurs de lis encore plus anciennes confèrent au drapeau québécois une dimension historique remarquable (fig. 8). Le pavillon de la Martinique adopté en 1766 : d’azur à la croix d’argent cantonnée de quatre serpents du même, est issu du même drapeau marchand (fig. 9).
Fig. 7 Drapeau marchand bleu à croix blanche dans le cimier des armoiries de ville de LaSalle (maintenant arrondissement de LaSalle, Montréal), concédées le 4 juin 1992 (vol. II : 170) par l’Autorité héraldique du Canada et reproduites avec sa permission. © Sa Majesté la Reine du Chef du Canada.
Fig. 8 Drapeau du Québec adopté en 1948.
Fig. 9 Pavillon de la Martinique adopté en 1766.
Lacunes des sources
Nous connaissons les drapeaux marchands français surtout par les descriptions d’époque et les documents iconographiques. Encore faut-il que ces sources soient précises. Une description trop sommaire ou un drapeau flou au mât d’un navire n’ont pas beaucoup de valeur documentaire. Les ordonnances non plus ne sont pas toujours d’une grande utilité parce qu’elles ne sont pas bien respectées, un phénomène nullement unique à la marine française [20]. Bien qu’approuvés par ordonnances, je n’ai pas retrouvé d’indications que les navires marchands qui se rendaient au Canada arboraient le pavillon de 1661, bleu à croix blanche portant l’écu royal au centre (fig. 5), pas plus que la version augmentée en fonction de l’ordonnance de 1689 où les colliers des ordres du Saint-Esprit et de Saint-Michel viennent s’ajouter autour de l’écu (fig. 6) [21]. Les sources font état d’un pavillon marchand d’argent à trois fasces d’azur employé seulement au début du XVIIe siècle [22], mais encore là on ne trouve pas de preuve qu’il ait flotté sur les navires qui abordaient les colonies françaises d’Amérique du Nord. Le commandant Denoix a cru voir sur une carte de la Floride, du Canada et du Labrador, par Guillaume le Testu (1555), le pavillon de Bordeaux au XVIe siècle qu’il décrit ainsi : « d’azur avec trois croissants enchevêtrés et deux croissants aux angles » [23]. L’interprétation du commandant est peut-être la bonne, mais le lien entre le port de Bordeaux et l’exploration de l’Amérique du Nord à cette époque reculée n’est pas évident. On ne peut pas non plus écarter la possibilité d’un drapeau fantaisiste. Le Testu prisait les astres comme éléments décoratifs. Il a illustré ses cartes d’un drapeau à quatre croissants, un autre ou les croissants s’accompagnent d’une ou deux fleur-de-lis, un autre où une lune accompagne un croissant, une lune seule, des étoiles, etc. [24]. Evidemment, Le Testu mêlait des emblèmes identifiables à des créations décoratives.
Nous connaissons les drapeaux marchands français surtout par les descriptions d’époque et les documents iconographiques. Encore faut-il que ces sources soient précises. Une description trop sommaire ou un drapeau flou au mât d’un navire n’ont pas beaucoup de valeur documentaire. Les ordonnances non plus ne sont pas toujours d’une grande utilité parce qu’elles ne sont pas bien respectées, un phénomène nullement unique à la marine française [20]. Bien qu’approuvés par ordonnances, je n’ai pas retrouvé d’indications que les navires marchands qui se rendaient au Canada arboraient le pavillon de 1661, bleu à croix blanche portant l’écu royal au centre (fig. 5), pas plus que la version augmentée en fonction de l’ordonnance de 1689 où les colliers des ordres du Saint-Esprit et de Saint-Michel viennent s’ajouter autour de l’écu (fig. 6) [21]. Les sources font état d’un pavillon marchand d’argent à trois fasces d’azur employé seulement au début du XVIIe siècle [22], mais encore là on ne trouve pas de preuve qu’il ait flotté sur les navires qui abordaient les colonies françaises d’Amérique du Nord. Le commandant Denoix a cru voir sur une carte de la Floride, du Canada et du Labrador, par Guillaume le Testu (1555), le pavillon de Bordeaux au XVIe siècle qu’il décrit ainsi : « d’azur avec trois croissants enchevêtrés et deux croissants aux angles » [23]. L’interprétation du commandant est peut-être la bonne, mais le lien entre le port de Bordeaux et l’exploration de l’Amérique du Nord à cette époque reculée n’est pas évident. On ne peut pas non plus écarter la possibilité d’un drapeau fantaisiste. Le Testu prisait les astres comme éléments décoratifs. Il a illustré ses cartes d’un drapeau à quatre croissants, un autre ou les croissants s’accompagnent d’une ou deux fleur-de-lis, un autre où une lune accompagne un croissant, une lune seule, des étoiles, etc. [24]. Evidemment, Le Testu mêlait des emblèmes identifiables à des créations décoratives.
Flags of the Merchant Marine in New France
(Summary)
From the earliest days of French colonization in North America, two flags were used consistently by the merchant marine: the white flag of the Royal Navy used without authorization as a means of securing a commercial edge because of its prestige (fig. 1), and the blue flag with a white cross, which was specific to merchant ships (fig. 4). These two flags were both flown by French merchantmen coming to Canada throughout the seventeenth century, but the use of the white flag became so prevalent throughout the eighteenth century that, in 1765, King Louis XV finally authorized its use by merchant ships, as had been done for the Compagnie des Indes in 1696.
The merchant flag, blue with a white cross, which is depicted on the maps of Champlain from the beginning of French colonization in Canada, is now reproduced in the flag of the Province of Quebec (fig. 2-4, 8). That cross on blue along with the even more ancient fleurs-de-lis convey remarkable historical roots to the provincial flag. The naval flag of the Martinique, blue with a white cross and four white snakes, is also derived from the old flag of the French Merchant Navy (fig. 9).
The main documentary sources for merchant flags connected with New France are written descriptions or iconographic documents. These are not always reliable. A summary description or a sketch at the top of a ship’s mast, without much attention to details, is not of much documentary value. We do not know whether some flags such as those in figures 5 and 6 were ever flown by the French merchant marine on their trips to Canada, but the use of the white flag and the blue flag with the white cross is well documented.
The merchant flag, blue with a white cross, which is depicted on the maps of Champlain from the beginning of French colonization in Canada, is now reproduced in the flag of the Province of Quebec (fig. 2-4, 8). That cross on blue along with the even more ancient fleurs-de-lis convey remarkable historical roots to the provincial flag. The naval flag of the Martinique, blue with a white cross and four white snakes, is also derived from the old flag of the French Merchant Navy (fig. 9).
The main documentary sources for merchant flags connected with New France are written descriptions or iconographic documents. These are not always reliable. A summary description or a sketch at the top of a ship’s mast, without much attention to details, is not of much documentary value. We do not know whether some flags such as those in figures 5 and 6 were ever flown by the French merchant marine on their trips to Canada, but the use of the white flag and the blue flag with the white cross is well documented.
NOTES
[1] Marc LESCARBOT, Histoire de la Nouvelle-France, Paris, Adrian Perrier, 1617, p. 538.
[2] Reuben Gold Thwaites, The Jesuit Relations and Allied Documents, 1610-1791, Cleveland, Burrows Brothers, 1896-1901, vol. 5, p. 42.
[3] Voir l’illustration dans Madeleine LANDRY et Robert DEROME, L’art sacré en Amérique française. Le trésor de la Côte-de-Beaupré, Sillery, Paris, Septentrion, Nouveau Monde, 2005, p. 122-123. Voir aussi dans le même ouvrage, l’Ex-voto de Monsieur Roger (1717) où un bateau de guerre, ce qui est normal, arbore deux pavillons blancs et une flamme blanche, p. 118-119 et l’Ex-voto du capitaine Édouin, 1711, où divers drapeaux blancs flottent d’un navire, p. 119.
[4] Le commandant L. Denoix, Les pavillons de marine, étude réalisée pour Parcs Canada, vers 1968, p. 8.
[5] René Chartrand, « Les drapeaux en Nouvelle-France », dans Conservation Canada, vol. 1, no. 1, 1974, p. 24. La mappemonde de Pierre Desceliers, datée de 1546, montre un navire arborant des pavillons rouges à croix alésée blanche dans l’Atlantique près de Terre-Neuve et du Labrador et un autre drapeau à une croix dans la région du Saguenay. La carte appartient à la John Rylands University Library de Manchester, Angleterre, voir : http://enriqueta.man.ac.uk/luna/servlet/view/search?search=Search&q=desceliers&QuickSearchA=QuickSearchA&pgs=50&res=1 consulté le 30 mars 2014.
[6] L. Denoix, op. cit., p. 8.
[7] René Chartrand, op. cit., p. 25. Voir également à ce sujet : Hervé Pinoteau, La symbolique royale française Ve-XVIIIe siècles, Loudun, PSR Éditions, 2003, p. 657.
[8] Reuben Gold Thwaites, op. cit., vol. 3, p. 28.
[9] D’après André Favyn, un étendard bleu à croix blanche et à fleurs de lis d’or était porté aux funérailles d’Henri IV, mais cette source n’est pas fiable. Voir Hervé PINOTEAU, op. cit., p. 232; Marius SEPET, Le drapeau de la France, Paris, Victor Palmé, 1873, p. 90; André FAVYN, Le théâtre d’honneur et de chevalerie …, t. 2, Paris, Robert Follet, 1620, p. 1866. Les drapeaux d’ordonnance du régiment de Navarre, créé en 1558, et du régiment des Gardes Françaises, créé en 1563, pouvaient correspondre à cette description générale, mais il est impensable que le père Biard avait en tête l’un de ces drapeaux.
[10] Georges FOURNIER, Hydrographie …, Paris, Michel Soly, 1643, p. 795-796.
[11] Pour une analyse complète du contenu emblématique de cette toile, voir : Robert A. Pichette, « Une énigme héraldique : les armes de de Bruc sur un tableau à Québec » dans L’héraldique au Canada, vol. 11, no 1 (mars 1977), p. 5-11.
[12] Marius SEPET, op. cit., p. 90- 91; Hervé PINOTEAU, op. cit., p. 662.
[13] L. Denoix, op. cit., p. 8; Hervé PINOTEAU, op. cit., 674, fig. 6.
[14] René Chartrand, op. cit., p. 26.
[15] Jacques ARCHAMBAULT et Eugénie LÉVESQUE, Le drapeau québécois, Éditeur officiel du Québec, 1974, p. 4.
[16] Voir la copie abrégée dans Marcel TRUDEL, Atlas historique du Canada français, des origines à 1867, Les Presses de l’Université Laval, 1961, p. 9; voir la carte originale dans Derek HAYES, Historical Atlas of Canada, Vancouver, Douglas & McIntyre, 2002, p. 24.
[17] De nombreuses cartes confirment que la croix rouge sur un écu représente l’Angleterre, notamment une mappemonde de 1502 nommée d’après Alberto Cantino, agent du duc de Ferrara, dans Eric FLAUM, Discovery Exploration Through the Centuries, Toronto, WH Smith, 1990, p. 86-87.
[18] Sur les cartes du XVIe siècle, on représentait le Portugal surtout par deux drapeaux : d’azur à cinq besants d’argent en sautoir, à la bordure de gueules et le même drapeau sans bordure. Sur certaines représentations, les besants se transformaient en taches blanches; sur d’autres, ils disparaissaient pour ne laisser qu’un champ bleu foncé. On retrouve des exemples de besants éclipsés dans l’hémisphère occidental de la mappemonde d’Alberto Cantino, détail dans W.P. Cumming, R.A. Skelton et D.B. Quinn, The Discovery of North America, New York, American Heritage Press, 1972, p. 57.
[19] Gustave DESJARDINS, Recherches sur les drapeaux français, Paris, Vve A. Morel et Cie, 1874, p. 88, 90.
[20] Au XVIIe siècle, on rencontre un phénomène semblable au sein de la marine marchande britannique laquelle, à l’encontre des ordonnances, arborait le drapeau de l’Union (Union Jack) afin de se procurer certains avantages. Timothy WILSON, Flags at Sea, London, Her Majesty’s Stationery Office, 1986, p. 33
[21] L. Denoix, op. cit., p. 8.
[22] Ibid., p. 9.
[23] Ibid., p. 10.
[24] W.P. Cumming, R.A. Skelton et D.B. Quinn, op. cit., p. 94, 128. Ses cartes se retrouvent sur plusieurs sites Web.
[1] Marc LESCARBOT, Histoire de la Nouvelle-France, Paris, Adrian Perrier, 1617, p. 538.
[2] Reuben Gold Thwaites, The Jesuit Relations and Allied Documents, 1610-1791, Cleveland, Burrows Brothers, 1896-1901, vol. 5, p. 42.
[3] Voir l’illustration dans Madeleine LANDRY et Robert DEROME, L’art sacré en Amérique française. Le trésor de la Côte-de-Beaupré, Sillery, Paris, Septentrion, Nouveau Monde, 2005, p. 122-123. Voir aussi dans le même ouvrage, l’Ex-voto de Monsieur Roger (1717) où un bateau de guerre, ce qui est normal, arbore deux pavillons blancs et une flamme blanche, p. 118-119 et l’Ex-voto du capitaine Édouin, 1711, où divers drapeaux blancs flottent d’un navire, p. 119.
[4] Le commandant L. Denoix, Les pavillons de marine, étude réalisée pour Parcs Canada, vers 1968, p. 8.
[5] René Chartrand, « Les drapeaux en Nouvelle-France », dans Conservation Canada, vol. 1, no. 1, 1974, p. 24. La mappemonde de Pierre Desceliers, datée de 1546, montre un navire arborant des pavillons rouges à croix alésée blanche dans l’Atlantique près de Terre-Neuve et du Labrador et un autre drapeau à une croix dans la région du Saguenay. La carte appartient à la John Rylands University Library de Manchester, Angleterre, voir : http://enriqueta.man.ac.uk/luna/servlet/view/search?search=Search&q=desceliers&QuickSearchA=QuickSearchA&pgs=50&res=1 consulté le 30 mars 2014.
[6] L. Denoix, op. cit., p. 8.
[7] René Chartrand, op. cit., p. 25. Voir également à ce sujet : Hervé Pinoteau, La symbolique royale française Ve-XVIIIe siècles, Loudun, PSR Éditions, 2003, p. 657.
[8] Reuben Gold Thwaites, op. cit., vol. 3, p. 28.
[9] D’après André Favyn, un étendard bleu à croix blanche et à fleurs de lis d’or était porté aux funérailles d’Henri IV, mais cette source n’est pas fiable. Voir Hervé PINOTEAU, op. cit., p. 232; Marius SEPET, Le drapeau de la France, Paris, Victor Palmé, 1873, p. 90; André FAVYN, Le théâtre d’honneur et de chevalerie …, t. 2, Paris, Robert Follet, 1620, p. 1866. Les drapeaux d’ordonnance du régiment de Navarre, créé en 1558, et du régiment des Gardes Françaises, créé en 1563, pouvaient correspondre à cette description générale, mais il est impensable que le père Biard avait en tête l’un de ces drapeaux.
[10] Georges FOURNIER, Hydrographie …, Paris, Michel Soly, 1643, p. 795-796.
[11] Pour une analyse complète du contenu emblématique de cette toile, voir : Robert A. Pichette, « Une énigme héraldique : les armes de de Bruc sur un tableau à Québec » dans L’héraldique au Canada, vol. 11, no 1 (mars 1977), p. 5-11.
[12] Marius SEPET, op. cit., p. 90- 91; Hervé PINOTEAU, op. cit., p. 662.
[13] L. Denoix, op. cit., p. 8; Hervé PINOTEAU, op. cit., 674, fig. 6.
[14] René Chartrand, op. cit., p. 26.
[15] Jacques ARCHAMBAULT et Eugénie LÉVESQUE, Le drapeau québécois, Éditeur officiel du Québec, 1974, p. 4.
[16] Voir la copie abrégée dans Marcel TRUDEL, Atlas historique du Canada français, des origines à 1867, Les Presses de l’Université Laval, 1961, p. 9; voir la carte originale dans Derek HAYES, Historical Atlas of Canada, Vancouver, Douglas & McIntyre, 2002, p. 24.
[17] De nombreuses cartes confirment que la croix rouge sur un écu représente l’Angleterre, notamment une mappemonde de 1502 nommée d’après Alberto Cantino, agent du duc de Ferrara, dans Eric FLAUM, Discovery Exploration Through the Centuries, Toronto, WH Smith, 1990, p. 86-87.
[18] Sur les cartes du XVIe siècle, on représentait le Portugal surtout par deux drapeaux : d’azur à cinq besants d’argent en sautoir, à la bordure de gueules et le même drapeau sans bordure. Sur certaines représentations, les besants se transformaient en taches blanches; sur d’autres, ils disparaissaient pour ne laisser qu’un champ bleu foncé. On retrouve des exemples de besants éclipsés dans l’hémisphère occidental de la mappemonde d’Alberto Cantino, détail dans W.P. Cumming, R.A. Skelton et D.B. Quinn, The Discovery of North America, New York, American Heritage Press, 1972, p. 57.
[19] Gustave DESJARDINS, Recherches sur les drapeaux français, Paris, Vve A. Morel et Cie, 1874, p. 88, 90.
[20] Au XVIIe siècle, on rencontre un phénomène semblable au sein de la marine marchande britannique laquelle, à l’encontre des ordonnances, arborait le drapeau de l’Union (Union Jack) afin de se procurer certains avantages. Timothy WILSON, Flags at Sea, London, Her Majesty’s Stationery Office, 1986, p. 33
[21] L. Denoix, op. cit., p. 8.
[22] Ibid., p. 9.
[23] Ibid., p. 10.
[24] W.P. Cumming, R.A. Skelton et D.B. Quinn, op. cit., p. 94, 128. Ses cartes se retrouvent sur plusieurs sites Web.